Par Mathieu Jaborska
22 octobre 2024
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Ça devait arriver : le légendaire jeu de société Loups-Garous a enfin le droit à deux déclinaisons sur petit écran. L’une prend la forme d’une télé-réalité grandeur nature diffusée sur Canal+, l’autre d’un long-métrage réalisé par François Uzan, distribué par Netflix et disponible le 23 octobre 2024. La présence des valeurs sûres du Prime-Time TF1 Frank Dubosc et Jean Reno au casting (accompagnés de Suzanne Clément) laissait présager une adaptation à la sauce comédie franchouillarde. Il s’avère qu’il ne s’agit même pas vraiment d’une adaptation. La sauce, en revanche, dégouline et souille à peu près tout ce que vous chérissiez à Thiercelieux.
© Canva NetflixLoup y est-tu ?
À vrai dire, Loups-garous de Thiercelieux avait déjà eu droit à une adaptation indirecte en 2021. Werewolves Within était tiré d’un jeu vidéo lui-même inspiré du modèle du jeu de Mafia (une création de Dimitry Davidoff) sur lequel repose le classique français. Le principe était similaire : une troupe de personnages regroupés dans un village doivent deviner lesquels d’entre eux sont des loups-garous voraces.
Bien que regardable, le film n’a pas fait forte impression. Pourtant, il retranscrivait bien mieux le concept que la version officielle produite par Radar Films et vomie par Netflix.
Épluchons donc ce navet en commençant par son défaut le plus flagrant : Loups-garous n’adapte même pas Loups-garous. Il en reprend les grandes lignes bien sûr. Une petite famille vaguement présentée dans une grossière scène d’introduction se retrouve propulsée dans le passé, ou plutôt dans le jeu, à moins que ce soit les deux. Un subtil mélange de deux formules ayant fait leurs preuves des deux côtés de l’Atlantique : le sous-Visiteurs et le sous-Jumanji. Chacun se voit doté d’un rôle parmi les figures bien connues du jeu de cartes et il s’agit de démasquer les lycanthropes du village de Thiercelieux pour qu’ils rentrent chez eux.
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Jusqu’ici tout va à peu près bien, sauf que le récit n’aborde absolument jamais la paranoïa qui touche les protagonistes. Pire : il révèle d’emblée qui est loup-garou dans la troupe ! Certes, nos rêves humides de bodysnatcher velus s’accordaient mal à la cible familiale du jeu et du film. Mais de là à renier son principe même, il y a un gouffre franchi sans broncher, la main dans le slibard. Il y a bien un moment où nos héros se mettent à la recherche de deux loups, mais le scénario ne nous présentant que trois personnages secondaires, le suspense n’est pas des plus insoutenables.
Qu’est ce qu’on a fait au bon Loups-garous ?
Mais alors que font nos immigrés temporels s’ils ne jouent pas… au Loup-garou ? Ils collectent, dans l’ordre, tous les clichés les plus artificiels de la comédie bas-du-front taillée pour les rediffusions sur W9. Et en fait, ça a toujours été l’objectif. Il n’a jamais été question de rendre hommage aux parties jouées la nuit tombée et à ses savoureux regards en chien de faïence, quitte à malmener un peu la sacro-sainte unité familiale, mais d’instrumentaliser la marque pour se faire un max de blé avec un énième «contenu» auquel personne n’a essayé d’insuffler un minimum de personnalité.
Le cahier des charges est respecté avec un cynisme qui ferait passer la filmographie de Fabien Onteniente pour celle de John Waters. Du conflit générationnel aux références appuyées au patrimoine musical, tout y est. Évidemment que Frank Dubosc reprend Michel Sardou et Johnny Hallyday au luth. Évidemment que la photographie est archi plate. Évidemment que le tempo comique est aux fraises. Personne ne fait même semblant de donner le change.
Il persiste à recycler les marronniers de la comédie française bien de chez nous, même quand c’est franchement déplacé. Croyez-le ou non, Loups-garous multiplie les commentaires sociaux post-Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ?. Les deux personnages d’ados sont une influenceuse beauté (donc en quête de reconnaissance) et un jeune aux cheveux longs et au vernis sur les doigts (donc en quête d’identité). Quant au seul présenté comme ouvertement homosexuel, ses deux gags principaux consistent à draguer en permanence Frank Dubosc et à garder soigneusement dans son atelier… une collection de perruques.
Comme pour nous achever, le scénario fait mine de s’intéresser aux violences conjugales, avec une vulgarité et un je-m’en-foutisme confirmant l’évidence : l’univers traité importe peu. C’est un énième prétexte pour régurgiter le sempiternel modèle de divertissement familial. Le modèle privilégié des chaînes privées françaises, lesquelles voudraient nous faire avaler que le spectateur moyen mérite qu’on lui crache dessus, parce qu’il aurait la flemme de zapper.
Les enfants de la télé
Au fond, des pseudo-comédies ignobles qui nous prennent pour des abrutis, on en liste plusieurs par an. Mais celle-ci pourrait devenir un symbole. Le symbole d’un échec artistique et industriel cuisant. Car du talent, chez les techniciens qui ont confectionné les effets spéciaux et les loups en question, il y en a. Du budget, suffisant à la reconstitution avec figurants d’un village médiéval (sans compter les salaires…), il y en a aussi. Du potentiel, il y en avait plus encore. Mais certains ont décidé d’utiliser tout ça pour pomper notre temps de cerveau disponible.
Loups-Garous, c’est avant tout le symbole de l’échec d’un modèle, celui prometteur de la SVoD. Il se posait, fut un temps, en alternative à la télévision, à ses télé-réalités dégueulasses et à ses soap-opera en pilote automatique, destinés à maintenir «la ménagère» éveillée jusqu’à la prochaine page de publicité. Depuis, en France, Netflix a juste pris le relai, pub comprise. Preuve en est : ce film est en vérité un téléfilm, non pas parce qu’il est destiné au petit écran, mais parce qu’il n’existe que pour remplir une grille de programmation.
Ses auteurs ne faisaient que livrer une commande lorsqu’ils ont écrit la fameuse vanne du «tu veux voir mes miches, ah non je parlais du pain», interdite depuis le XVe siècle au moins. Plus personne n’essaie de faire de l’art, ni même du divertissement (on s’ennuie ferme entre deux pics de malaise). Uniquement de la télévision, dans ce qu’elle a de plus cynique, de plus méprisant et bien sûr de plus lucratif.
L’omniprésence de la chose sur toutes les pages d’accueil et dans tous les algorithmes va tenter de nous faire croire que notre horizon culturel se limite à ça. À nous de changer de chaîne, d’aller chercher mieux dans la barre de recherche, ou tout simplement de nous désabonner une bonne fois pour toutes. Ne les laissons pas nous endormir.
Loups-Garous est disponible sur Netflix à partir du 23 octobre 2024 en France
Rédacteurs :
Mathieu Jaborska
Résumé
Tout ce que la télévision avait de plus cynique et pathétique se retrouve désormais sur Netflix. Il n’est donc pas question d’adapter Loups-Garous, ni même de divertir qui que ce soit. Juste d’occuper le catalogue.
Autres avis
-
Alexandre Janowiak
Loups-Garous n'a rien pour lui et fait simplement une entrée fracassante dans la liste des pires films Netflix de l'Histoire.
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des-feves-aux-beurres-et-un-excellent-chianti
il y a 1 jour
Ce qui m’inquiète le plus c est qu’à l’étranger on puisse croire que c est représentatif du cinéma et de la création à la française.
.
Drôle de perception si on fait un combo Loup garous – Bigbug
Ropib
il y a 2 jours
Ben.. moi je pense qu’il y a un public pour ça. Netflix tente peut-être d’aller chercher des gens qui sont à la limite de la dépression en sentant bien que la télé est proche de la fin… si du jour au lendemain les pouvoir publics se rendaient compte que donner des licences de télé à des acteurs économiques spécifiques alors que l’Internet existe et permet un accès neutre, combien de suicides on aurait sur les bras ? Et bon, le nombre de films qui draguent les boomers, dont la dimension mainstream conformiste est en train de se transformer en bulle marginale, il y en a pas mal qui sortent et qui me semblent faire des chiffres… ce public ne semble pas vouloir consommer une production plus évoluée. Quand je discute avec des personnes de cette génération, elles expliquent bien comment des structures narratives travaillées et un peu de finesse, ça les gave ; certes elles critiquaient les faux rires des comédies télévisuelles mais depuis qu’on les a enlevées, elles sont perdues. Moi j’ai parfois l’impression qu’il y a un mal-être hein, c’est pour ça qu’on se retrouve avec des vedettes de cette génération qui se retrouvent à crier à la radio ou à la télé pour exiger que les autres se calment et se soumettent à leur Raison. Netflix tente un truc, et le pire n’est pas que cette série soit un échec, mais qu’elle soit un succès en réalité.
hlefebvre69
il y a 3 jours
Bah on a passé une Loi pour obliger Netflix à dépenser 20% de son CA français en productions françaises. Donc ils obéissent, ils financent de la merde en filant de gros cachets à ceux «qui ont la carte» pour se faire des copains. Voilà, c’est comme le CNC. Fin de l’histoire. On attend avec impatience les prochains «films» de BHL sur Netflix (ou pas).
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KevinLC29
Abonné
il y a 3 jours
En même temps, le réalisateur s’appelle François «Uzan». Ils essayent même pas de le cacher que ça va être naze haha
Flash
il y a 3 jours
Qu’attendre d’un film avec Reno et Dubosc?
pour un Rebel Ridge, réussi, combien de navets sur Netflix ?
je crois qu’il est bientôt temps de rendre mon abonnement.
2
Marc en RAGE
il y a 4 jours
Jean RENO en Pantoufles… Il est loin le temps de NIKITA, de LEON et des Visiteurs.
3
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cidjay
il y a 4 jours
au vernis sur les doigts (donc en quête d’identité).
Je comprends mieux le départ de Simon Riaux, il était en recherche d’identité…
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